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La question de la dette extérieure, ainsi que les circonstances au Myanmar, en République centrafricaine et en République démocratique du Congo, sont examinées par la Troisième Commission


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    Poursuivant son examen de la promotion et la protection des droits humains, la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a dialogué aujourd’hui avec six titulaires de mandat et deux hauts fonctionnaires de l’ONU.  Dans la matinée, les débats ont porté sur les questions de la solidarité internationale, de la dette et des déplacés, tandis que l’après-midi était consacré à l’examen de la situation des droits humains en République centrafricaine, en République populaire démocratique de Corée (RPDC) et au Myanmar. 

    Ouvrant les débats, l’Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale a appelé les États Membres à adopter un projet de déclaration sur le droit à la solidarité internationale; une démarche qui permettrait, selon lui, de définir un cadre pour la solidarité internationale dans le domaine des droits humains. 

    L’Experte indépendante sur les effets de la dette extérieure sur la pleine jouissance de tous les droits de l’homme a ensuite déploré que l’état actuel de l’économie mondiale et le manque de coopération fiscale entraînent la baisse des recettes publiques, l’augmentation du coût de la vie et de l’inflation, ainsi que des politiques d’austérité responsables d’une régression dans la réalisation des droits humains.  « Tous ces facteurs provoquent une spirale descendante d’un niveau de vie déjà en baisse, aggravant la pauvreté et augmentant les inégalités ».

    Alors que 80% des actifs financiers mondiaux sont aujourd’hui détenus dans les pays développés, un transfert de seulement 1,1% de cette somme –soit 4 200 milliards de dollars- suffirait à atteindre les objectifs de développement durable (ODD) dans les pays en développement, a-t-elle indiqué, plaidant en faveur d’une « économie fondée sur les droits humains ». Lors du débat interactif, la Chine, la Fédération de Russie, le Cameroun, le Lesotho, Cuba et les Bahamas ont appelé à une réforme de l’architecture financière internationale.  Leur répondant, l’Experte indépendante a proposé la création urgente d’un organe fiscal international neutre, qui pourrait être hébergé par l’ONU. 

    Intervenant pour la première fois devant la Troisième Commission, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays a rappelé que 71 millions de personnes étaient concernées par cette situation, un chiffre record, qui pourrait augmenter en raison de la multiplication des conflits et des catastrophes. 

    La situation au Myanmar a ensuite mobilisé l’attention des délégations pendant une grande partie de l’après-midi.  Accusant la junte militaire d’être un « agent du chaos et de la violence », le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a exhorté les États Membres à ne pas perdre de vue « le feu ardent de la brutalité » qui dévore le pays.  Détaillant les atrocités commises depuis le coup d’État en 2021, il a dénoncé le meurtre d’au moins 4 000 civils, l’incarcération de plus de 25 000 prisonniers politiques, dont presque 20 000 demeurent en détention, et la destruction d’environ 75 000 habitations et structures civiles.  Il a également rappelé que plus de 2 millions de personnes ont été déplacées, 15 millions souffraient d’insécurité alimentaire, et qu’un million de Rohingya étaient réfugiés au Bangladesh. 

    « La résolution de la crise des Rohingya doit être au cœur de toute solution politique au Myanmar », a souligné le Sous-Secrétaire général pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique, selon qui la désignation comme « terroristes » des principales organisations armées ethniques et du Gouvernement d’unité nationale fait planner de sérieux doutes quant à l’intérêt de l’armée en faveur d’une véritable solution politique. 

    De son côté, le Myanmar a affirmé que la junte ne sera jamais en mesure de vaincre la résistance combinée croissante des mouvements pacifiques armés et des organisations de résistance ethnique, ajoutant qu’elle recourrait de plus en plus à des crimes atroces pour survivre.  La communauté internationale ne doit pas continuer à permettre aux militaires de tuer brutalement la population, a-t-il martelé, appelant à saisir la Cour pénale internationale (CPI).  Le Chef du Mécanisme indépendant d’enquête pour le Myanmar a présenté, pour sa part, le premier rapport de cet organe créé en 2018.

    Au préalable, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine a salué le lancement, le 10 octobre à Genève, de la Politique nationale des droits de l’homme de la RCA de même que son caractère inédit, tout en s’inquiétant de la persistance des violations des droits humains dans le pays.  Si les groupes armés en demeurent les principaux auteurs, ni les forces de défense et de sécurité, ni leurs alliés russes, et ni même les Casques bleus n’en sont exempts, a-t-il affirmé, s’interrogant sur l’efficacité de la politique de tolérance zéro.  

    Réagissant à cet exposé, la République centrafricaine a dénoncé la décision du Conseil de sécurité de prolonger l’embargo sur les armes, affirmant que celui-ci a permis à des groupes terroristes de prospérer au vu et au su d’une force de maintien de la paix inopérante et inefficace.  De son côté la Fédération de Russie a rejeté catégoriquement les « allégations » contenues dans le rapport, accusant les militaires russes d’avoir commis de graves violations des droits humains. 

    La Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en RPDC a alerté, pour sa part, que la politique du « tout-militaire » génère un sous-investissement dans la protection sociale, fragilisant de larges segments de la population qui manquent de nourriture, d’eau et de soins, et affectant de manière disproportionnée les femmes et les jeunes filles.

    En préalable aux débats consacrés aux situations spécifiques, le Mouvement des pays non alignés, par la voix de l’Azerbaïdjan, a exprimé sa profonde préoccupation face à la prolifération de résolutions spécifiques à un pays.

    La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, mardi 24 octobre, à partir de 10 heures. 

    PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS HUMAINS (A/78/198)

    Déclarations liminaires des titulaires de mandat au titre d’une procédure spéciale et d’autres experts, suivies d’un dialogue interactif

    Exposé

    M. OBIORA C. OKAFOR, Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale, a présenté un dernier rapport faisant le bilan de ses six années de mandat.  Il a rappelé que son premier rapport avait été consacré aux migrations (A/73/206) et le deuxième aux réfugiés (A/74/185), affirmant que la soi-disant « crise des réfugiés » était plus liée à la réticence de nombreux États à accepter autant de réfugiés qu’ils auraient pu et dû, qu’au nombre de personnes ayant besoin d’une protection.  Il y a vu une crise du « partage équitable des responsabilités » et donc une crise de la solidarité internationale par excellence.  Abordant son troisième rapport (A/75/180), consacré au populisme, il a noté la grave menace qu’il faisait peser sur les droits humains des personnes et des groupes vulnérables.  Il a également rappelé que ses quatrième et cinquième rapports étaient consacrés à la sécurité économiques (A/76/176) et aux vaccins (A/77/173). 

    L’Expert indépendant a aussi évoqué ses rapports au Conseil des droits de l’homme, parmi lesquels le deuxième était consacré à la criminalisation des militants des droits humains ayant défendu les droits fondamentaux des migrants et des réfugiés (A/HRC/41/44), le troisième aux changements climatiques (A/HRC/44/44), le quatrième à la pandémie de COVID-19 (A/HRC/47/31) et le cinquième à l’extraterritorialité (A/HRC/50/37).  Il a expliqué que son sixième rapport, présenté en juin dernier au Conseil, était consacré à la révision du projet de déclaration sur le droit à la solidarité internationale (A/HRC/53/32), demandant le soutien des États Membres en vue de son adoption par le biais d’un processus intergouvernemental.  Estimant que cette démarche permettrait de définir un cadre pour la solidarité internationale dans le domaine des droits humains, il a ajouté qu’elle offrirait « un atout supplémentaire et extrêmement important pour œuvrer en faveur d’un monde plus juste et plus équitable ». 

    Dialogue interactif

    À la suite de cet exposé, l’Azerbaïdjan, qui s’exprimait au nom du Mouvement des pays non alignés, a rappelé que la solidarité internationale et les droits humains sont des valeurs sur lesquelles repose le Mouvement.  Dans ce cadre, il a réaffirmé la détermination du Mouvement à apporter une assistance politique, morale et matérielle à tout membre qui subirait un préjudice économique, politique ou militaire.  Il a insisté sur l’opposition du Mouvement à toutes les mesures coercitives unilatérales, notamment celles utilisées à des fins de pressions politiques, économiques et financières, en particulier contre les pays en développement, y voyant des violations de la Charte des Nations Unies et du droit international.  Il a ensuite interrogé l’Expert indépendant sur l’impact que peuvent avoir ces mesures sur le développement, mettant en question l’intégrité de toute déclaration sur la solidarité internationale qui négligerait cet aspect. 

    Parmi les autres délégations ayant exprimé leur désapprobation quant aux sanctions unilatérales, Cuba a rappelé qu’en dépit du blocus que lui imposent les États-Unis, il a soutenu la lutte contre la pandémie dans 48 nations, grâce à ses brigades médicales envoyées partout où l’on avait besoin d’elles. La Fédération de Russie a, quant à elle, insisté sur la nécessité d’une solidarité dépolitisée pour résoudre les nombreuses crises mondiales, avant de critiquer la « lecture égoïste » de la Charte des Nations Unies faite par les nations occidentales. La crise migratoire en mer Méditerranée, transformée en véritable « cimetière », et l’absence de solidarité européenne vis-à-vis des nations africaines en est le meilleur exemple, a-t-elle affirmé. 

    Le Lesotho a ensuite appuyé le projet de révision de la déclaration sur le droit à la solidarité internationale, estimant qu’il était rendu absolument nécessaire par la pandémie, tandis que le Cameroun rappelait le lien indissociable entre solidarité internationale et droit au développement.  Appelant à ce que davantage de flux financiers soient dirigés vers les pays qui en ont le plus besoin, la délégation camerounaise s’est inquiétée de la résistance que rencontre cette notion et a interrogé l’Expert indépendant sur les répercussions de sa non-inclusion dans les normes internationales. La Chine a fait part de son soutien constant à la solidarité internationale, la considérant non seulement comme un droit mais également comme un devoir, et y voyant la meilleure façon d’atteindre la paix et le développement. 

    L’État de Palestine a, de son côté, déploré l’agression de Gaza par Israël, fustigeant tout particulièrement les mesures prises par certains gouvernements pour interdire les manifestations en solidarité avec le peuple palestinien, telles qu’on a pu en voir depuis deux semaines à travers le monde.  Enfin, l’Ordre souverain de Malte, rappelant que la solidarité était sa raison d’être, a exposé ses collaborations avec des communautés locales et des ONG, particulièrement en Afrique et en Asie, sur des sujets tels que la santé, l’eau et l’hygiène. 

    Réagissant aux remarques et questions des délégations, l’Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale a remercié les États Membres qui ont appuyé son mandat ces six dernières années, affirmant que les avancées sur le projet de déclaration sur le droit à la solidarité internationale doivent beaucoup à leur bonne volonté.  Répondant ensuite au Venezuela, il a souligné l’importance des normes internationales pour faire face aux mesures coercitives unilatérales quand celles-ci sont excessives, « ce qui est souvent le cas ». La solidarité internationale peut contribuer à atténuer certains effets indésirables de ces mesures, a-t-il dit. 

    Abordant la question des impacts des changements climatiques, il a invité les délégations à consulter son rapport, avant de déplorer une très grande insuffisance de la solidarité internationale en la matière, comme en atteste le blocage des négociations sur le Fonds vert pour le climat.  Selon lui, les pays les plus pauvres ne devraient pas avoir à payer pour les dégâts causés par les plus riches.  En réponse aux interrogations exprimées par le Cameroun, M. Okafor a rappelé que, parmi les instruments existants, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit déjà un devoir de solidarité pour ce qui est du suivi de l’application du traité par la communauté internationale.  Il a ensuite fait remarquer que les nouveaux droits en création, comme le droit à l’environnement, ne se présentent pas exactement comme les droits précédents. Toutefois, a-t-il ajouté, aucune raison ne peut justifier que de nouveaux droits ne soient pas admis au niveau international. 

    Exposé

    Mme ATTIYA WARIS, Experte indépendante sur les effets de la dette extérieure et des autres obligations financières internationales connexes des États sur la pleine jouissance de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, a rappelé que la pandémie de COVID-19 est venue aggraver le retard pris dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).  Alors que nous sortons de cette crise, les niveaux de vie continuent de baisser, les intérêts de la dette ne sont pas payés et les monnaies sont dévaluées, a constaté l’Experte indépendante, dont le rapport traite des impacts de diverses crises sur les droits humains à travers le monde. 

    Parmi les polycrises actuelles, Mme Waris a tout d’abord mentionné la pauvreté mondiale, qui a progressé pour la première fois depuis 20 ans et a plongé 77 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté en 2021.  Elle a ensuite cité l’impact fiscal de la pandémie de COVID-19, qui a affecté de manière disproportionnée les personnes les plus vulnérables sur le marché du travail, et les crises alimentaires, causées essentiellement par les conflits ou l’insécurité, qui touchent 30,2 millions de personnes.  Les crises liées aux changement climatiques, à la pollution et à la perte de biodiversité ont, elles aussi, des effets néfastes sur les droits humains, a ajouté l’Experte indépendante, précisant que 700 millions de personnes pourraient être déplacées en raison d’une grave pénurie d’eau d’ici à 2030, tandis que 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 3,6 milliards ne disposent pas d’installations sanitaires sûres. 

    Notant que les personnes déracinées comptent parmi les plus vulnérables aux problèmes de sécurité alimentaire et de malnutrition, Mme Waris a rappelé qu’en 2021, sur les 51 millions de personnes déplacées dans le monde, près de 45 millions se trouvaient dans des territoires en crise alimentaire.  À ce sujet, elle a relevé que plusieurs conflits armés et crises humanitaires en cours ont des répercussions mondiales, les perturbations des chaînes alimentaires dues à des guerres entraînant une hausse des prix des denrées et, par voie de conséquence, une insécurité alimentaire.  Elle a également observé que de nombreux pays sont confrontés à une crise énergétique.  Dans ce contexte, l’Experte indépendante a déploré que l’état actuel de l’économie mondiale et le manque de coopération fiscale entraînent la baisse des recettes publiques, l’augmentation du coût de la vie et de l’inflation, ainsi que des politiques d’austérité responsables d’une régression dans la réalisation des droits humains.  « Tous ces facteurs provoquent une spirale descendante d’un niveau de vie déjà en baisse, aggravant la pauvreté et augmentant les inégalités », a-t-elle alerté.

    Les perturbations liées à la pandémie ont entraîné un déclin du commerce mondial qui, en 2020, était proche de celui de la crise financière mondiale de 2008-2009, a poursuivi Mme Waris, pour qui ces retombées, ajoutées à l’accroissement de la dette publique, ont particulièrement affecté les pays les moins avancés et les pays à faible revenu.  Parallèlement, les envois de fonds des migrants ont connu une forte croissance dans les pays en développement et les pays les moins avancés, devenant ainsi une source majeure de financement du développement, a-t-elle noté, estimant que ces envois contribuent à réduire la pauvreté et les inégalités.  Alors que 80% des actifs financiers mondiaux sont aujourd’hui détenus dans les pays développés, un transfert de seulement 1,1% de ces actifs suffirait à atteindre les ODD dans les pays en développement, comblant ainsi leur déficit de financement, estimé à 4 200 milliards de dollars, a fait valoir l’Experte indépendante. 

    Pour Mme Waris, une économie fondée sur les droits humains, un système fiscal plus progressif qui augmenterait les recettes et donc la disponibilité des ressources pour l’État, un financement de l’égalité d’accès aux services publics et la création d’une autorité fiscale mondiale, dotée d’un cadre de coopération internationale, sont autant de solutions pour contrer les crises multiples et réduire les distorsions dans la réalisation des droits humains. 

    Dialogue interactif

    Plaidant pour un ordre international plus juste et équitable, Cuba a déploré l’existence de mesures coercitives unilatérales qui violent les droits humains et réduisent la capacité des pays à affronter le poids de leur dette, demandant plus de détails sur leurs effets à l’Experte indépendante. En tant que petit État insulaire en développement (PEID) confronté aux changements climatiques, les Bahamas ont plaidé en faveur d’un indice de vulnérabilité allant au-delà du simple revenu national pour déterminer l’accès aux filets de protection financiers internationaux auxquels les États pouvaient avoir droit.  Le pays s’est enquis des recommandations de l’Experte indépendante en matière de supervision et de détection des flux financiers illicites le concernant. 

    Le Cameroun a appelé à réformer l’architecture financière internationale, regrettant que les institutions qui la composent n’axent pas leurs actions sur les droits humains.  Elle a également souhaité savoir qui s’opposait à une convention fiscale internationale et demandé des éclaircissements sur le concept d’économie basée sur les droits humains.  Le Lesotho a expliqué, pour sa part, que les changements climatiques frappaient de manière disproportionnée les pays les moins avancés et contraignaient les pays à plus d’emprunts, les enfermant dans le piège de l’endettement. 

    La Fédération de Russie a estimé que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ne tenaient pas suffisamment compte des droits humains, notamment du droit au développement.  Elle a plaidé en faveur d’une réforme pour modifier les conditions économiques actuelles, rappelant que de tels projets avaient émergé lors de la crise financière de 2008.  Dénonçant à son tour l’unilatéralisme, le protectionnisme et les mesures coercitives internationales, la Chine a, elle aussi, appelé à une réforme du système financier international en donnant plus de place aux pays en développement dans son pilotage et en leur consacrant plus de ressources.  La République arabe syrienne a indiqué qu’elle n’avait pas pu obtenir d’aide auprès de la Banque mondiale après le tremblement de terre de février 2023, car elle n’était pas à jour quant à ses contributions. Elle a expliqué que l’institution l’avait invitée à envoyer des délégués à Washington D.C. pour trouver une solution, mais que ces derniers n’avaient pas obtenu la permission des autorités états-uniennes.  Que pensez-vous de cette situation? 

    Reprenant la parole après ces questions, l’Experte indépendante sur les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, a rappelé qu’elle avait abordé la question de l’impact des mesures coercitives unilatérales lors d’une précédente discussion sur les incidences des systèmes fiscaux numériques, en mars dernier, au Conseil des droits de l’homme.  Elle a ensuite critiqué les marchés non réglementés et clandestins qui, selon elle, favorisent la criminalité et exacerbent les vulnérabilités sociales. 

    Elle a reproché aux institutions financières internationales de ne pas assez fonder leurs raisonnements et leurs actions sur les droits humains, et a réitéré l’idée de créer un indice de vulnérabilité basé sur des situations concrètes, et non sur des théories.  Revenant sur la difficile réforme de ces institutions, elle a évoqué les tentatives infructueuses de mettre en œuvre une stratégie fondée sur le genre au sein du FMI, et a appelé à y introduire des priorités en matière de santé, d’alimentation et d’éducation. 

    Concernant la fiscalité, l’Experte indépendante s’est lamentée du travail cloisonné des institutions financières existantes, faisant obstacle à une approche globale efficace.  « Nous vivons dans un monde où les décisions financières d’un pays ont des retombées et des répercussions dans le monde entier », a-t-elle souligné, appelant à créer d’urgence un organe fiscal international, neutre, où tout le monde serait sur un pied d’égalité.  Cet organe pourrait être hébergé soit par l’ONU, soit par une nouvelle entité, a-t-elle suggéré. 

    Exposé

    Mme PAULA GAVIRIA BETANCUR, Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays, intervenant pour la première fois devant la Troisième Commission, a indiqué que 71 millions de personnes dans le monde vivent en situation de déplacement interne.  Un nombre record, qu’elle a dit craindre de voir augmenter sous l’impulsion de catastrophes et conflits démultipliés.

    Elle a présenté les quatre priorités thématiques interconnectées autour desquelles elle compte axer son mandat, à savoir la violence généralisée, les processus de paix, les changements climatiques, et l’intégration et la réintégration des personnes déplacées.  Ces priorités ont été définies en raison de leur impact sur toutes les phases des cycles de déplacement, a-t-elle indiqué, précisant qu’elle compte privilégier une approche intersectorielle pour étudier la situation des différents segments de la population de déplacés, notamment les femmes, les filles, les enfants, les jeunes, les personnes LGBTQI+, les personnes d’ascendance africaine, les minorités, les personnes âgées et les peuples autochtones. 

    Elle a alerté que les situations de violence généralisée, que ce soit aux mains d’acteurs criminels organisés et de groupes extrémistes violents ou suite à des affrontements intercommunautaires, sont disproportionnellement meurtrières, et peuvent entraîner encore plus de morts que les conflits armés.  Mais l’application du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme dans ce domaine constitue un défi particulier, car les acteurs armés non étatiques peuvent rejeter ces cadres, tandis que les États peuvent déroger à leurs obligations en matière de droits humains, notamment dans le contexte des mesures extraordinaires de lutte contre le terrorisme ou contre les gangs. 

    Son intention, en particulier, est de fournir des clefs pour prévenir, répondre et résoudre efficacement les déplacements internes dans différents contextes de violence généralisée, garantir la responsabilité des acteurs coupables, et offrir des voies de recours aux populations déplacées dans leurs propres pays.  Je compte également promouvoir l’inclusion de la question des déplacements dans les processus de paix et de médiation ainsi que dans la justice transitionnelle, entre autres, a-t-elle ajouté. 

    La Rapporteuse spéciale a ensuite plaidé pour une participation pleine et significative des communautés déplacées par les changements climatiques, ainsi que de celles qui sont exposées à un tel déplacement, dans la conceptualisation des projets et stratégies d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Elle a notamment indiqué qu’elle compte examiner comment conceptualiser et mettre en œuvre les relocalisations planifiées d’une manière qui préserve les droits humains des personnes concernées. 

    Pour ce qui est du volet de l’intégration et de la réintégration, elle ambitionne d’identifier les facteurs qui permettent aux anciennes personnes déplacées d’avoir le sentiment que leur déplacement a réellement pris fin.  Les politiques de rapatriement et de relocalisation ne peuvent pas être une solution durable si elles ne permettent pas aux personnes concernées d’avoir un sentiment d’appartenance, a-t-elle souligné. Si on ne redouble pas d’efforts pour lutter contre les facteurs de déplacement, notamment les changements climatiques et la violence généralisée, s’attaquer aux causes profondes des conflits et des déplacements grâce à des processus de paix inclusifs et durables, et garantir l’intégration des personnes anciennement déplacées, la crise mondiale des déplacements continuera de s’aggraver, a mis en garde la Rapporteuse spéciale.

    Dialogue interactif

    Comment utiliser les instruments internationaux existants pour assurer des progrès et des résultats tangibles auprès des personnes déplacées, a demandé la Géorgie en donnant le coup d’envoi aux échanges avec la Rapporteuse spéciale.  Et quels points d’ancrage peut-on identifier au niveau du système global afin de renforcer la protection et les droits humains des personnes déplacées? s’est enquise la Suisse.  Le Cameroun a souhaité obtenir des exemples de bonnes pratiques en matière d’intégration des personnes déplacées, suivi de l’Indonésie qui s’est intéressée aux mesures à adopter en situation d’urgence et d’après-urgence. 

    Que peut faire l’ONU pour garantir un meilleur respect des droits humains des déplacés dans les contextes de conflit armé, a demandé à son tour l’Ukraine. Après avoir dénoncé les attaques de milices houthistes contre des camps de déplacés, le Yémen a demandé des détails sur les mécanismes d’obligation redditionnels et de suivi. Préoccupé par la situation au Myanmar, le Bangladesh s’est intéressé aux possibilités de démantèlement des camps de déplacés tout en assurant aux individus un retour sûr. 

    Le Liban a indiqué, pour sa part, que la poursuite de l’agression israélienne avait entraîné le déplacement 19 646 personnes dans l’ensemble du pays et a appelé la communauté internationale à « faire pression sur Israël » pour cesser les « violations quotidiennes de l’intégrité territoriale et de la souveraineté ».  À son tour, le Maroc a encouragé les groupes armés et les groupes non étatiques à permettre à la Rapporteuse spéciale de se déplacer librement dans les zones de conflit.  La Chine a critiqué, pour sa part, les pays qui « lancent des guerres au nom de la démocratie », provoquant des déplacements de masse de civils, les rappelant à leurs obligations au regard du droit international. 

    Comment pensez-vous prendre en compte le nexus humanitaire et développement dans le cadre de la reconstruction, s’est ensuite enquis le Cameroun.  De manière connexe, les États-Unis ont demandé comment intégrer les voix des personnes déplacées dans les processus de paix.  Comment comptez-vous travailler avec les États pour établir des normes juridiques relatives à la participation des déplacés? a demandé la Colombie. Et comment identifier les personnes déplacées encourant un risque accru de discrimination et de marginalisation? 

    S’agissant des changements climatiques, l’Union européenne a souhaité savoir comment appuyer les communautés pour prévenir les déplacements et mettre en œuvre des mesures de prévention des catastrophes.  Le Bangladesh a demandé des exemples de bonnes pratiques, tandis que l’Iraq a souligné que certaines problématiques des changements climatiques, les pénuries en eau notamment, dépassent les ressources dont disposent les États pour y faire face.  La Fédération de Russie a jugé inapproprié d’aborder la question des changements climatiques dans le cadre du mandat de la Rapporteuse spéciale, plaidant en faveur d’un « examen équilibré et objectif » de la relation entre les changements climatiques et la migration y compris interne.

    Le Myanmar a fait état de la situation dramatique de son pays depuis le coup d’état militaire de 2021: 1,7 million de personnes ont été déplacées, portant leur total dans le pays à plus de 2 millions; 18 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire; les conditions dans les camps se sont aggravées, particulièrement pour les femmes, et la junte empêche les observateurs de s’y déplacer librement.  La junte militaire a récemment lancé des attaques contre un camp dans l’État kachin, y tuant 30 personnes, a-t-il fait savoir. Que faire pour limiter de tels actes? 

    Reprenant la parole, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays a indiqué qu’elle allait mettre les bonnes pratiques pour l’intégration des déplacés dans les villes à disposition des États Membres.  Abordant la question des coûts de reconstruction, elle a rappelé l’importance d’élaborer des plans intégrés aux niveaux local et national ainsi que du soutien de la communauté internationale.  Elle a appelé à intégrer la question des déplacés dans les accords de paix et la justice transitionnelle, insistant sur l’importance de la prévention et la mise en place de systèmes d’alerte robustes.  Il faut également investir dans la prévention et la préparation des catastrophes, notamment la mise en place de plans de réinstallation planifiés, a-t-elle ajouté.  Elle a plaidé pour une participation précoce des personnes déplacées, s’inquiétant ensuite des répercussions qu’entraîneraient les fermetures de camps sans planification appropriée. 

    Déclaration liminaire

    S’exprimant au nom du Mouvement des pays non alignés, la représentante de l’Azerbaïdjan a pris la parole pour plaider en faveur d’un traitement des questions relatives aux droits humains par le biais d’une approche fondée sur le dialogue, non politisée et non sélective, et de manière juste et équitable, avec comme principes directeurs l’objectivité, le respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, l’impartialité, la non-sélectivité et la transparence, en tenant compte des particularités politiques, historiques, sociales, religieuses et culturelles de chaque pays.  À cette aune, la représentante a exprimé la profonde préoccupation du Mouvement face à la persistance et à la prolifération des adoptions sélectives de résolutions spécifiques à un pays au sein de la Troisième Commission, ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme (CDH), pratique qui, selon elle, exploite les droits humains à des fins politiques et viole les principes d’universalité, d’impartialité, d’objectivité et de non-sélectivité dans le traitement des questions liées aux droits humains. 

    Appelant à promouvoir une plus grande complémentarité entre les travaux de la Troisième Commission et du Conseil des droits de l’homme et à éviter les doublons et les chevauchements inutiles dans leurs activités, la représentante a fait valoir que l’Examen périodique universel (EPU) du CDH est le « principal mécanisme de coopération intergouvernemental pour examiner les questions relatives aux droits humains au niveau national dans tous les pays sans distinction, avec la pleine participation du pays concerné et en tenant compte du renforcement de ses capacités ».  Elle a également rejeté la pratique actuelle du Conseil de sécurité consistant à traiter les questions de droits humains dans la poursuite des objectifs politiques de certains États.  Mécanisme de coopération orienté vers l’action, l’EPU se fonde sur des informations objectives et fiables et sur un dialogue avec le pays sous examen mené de manière impartiale, transparente, non sélective, constructive, non conflictuelle et non politisée, a-t-elle conclu. 

    Exposé

    M. YAO AGBETSE, Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine (RCA), a indiqué que la Politique nationale des droits de l’homme de la RCA pour la période 2023-2027 a été lancé le 10 octobre à Genève.  C’est la toute première fois qu’une telle politique est élaborée, a-t-il précisé avant de féliciter les autorités centrafricaines pour cette réalisation et d’appeler à la mobilisation de ressources pour sa mise en œuvre efficace. 

    En ce qui concerne le processus de paix, l’Expert indépendant a rappelé les trois instruments dont dispose désormais le pays: l’APR RCA du 6 février 2019 « qui est dans une période d’essoufflement », la Feuille de route de Luanda de 2021 « qui attend des mesures concrètes de la part du gouvernement pour exister pleinement », et les recommandations du Dialogue républicain de 2022 qui nécessitent, elles aussi, d’être activées. Notant que 4 227 ex-combattants avaient été désarmés et démobilisés au 23 mars 2023, il a prôné la poursuite du dialogue politique pour une solution durable. Notant que des tensions persistent malgré le référendum constitutionnel du 30 juillet, il a appelé à un dialogue inclusif pour la réussite des prochaines élections locales. 

    En ce qui concerne les violations des droits de l’homme, si les groupes armés en demeurent les principaux auteurs, ni les forces de défense et de sécurité de la RCA, ni leurs alliés russes, et ni même les Casques bleus n’en sont exempts.  Avec 24 cas d’abus enregistrés dans le rapport, M. Agbetse s’est interrogé sur l’efficacité de la politique de tolérance zéro; la majorité des filles et des femmes victimes de violences sexuelles attendant toujours que justice soit faite, a-t-il regretté.  Soulignant le manque de ressources de l’Unité mixte d’intervention rapide et de répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants (UMIRR), il a appelé à un soutien financier accru ainsi qu’à une révision du mémorandum liant les États fournisseurs de troupes à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA). 

    Abordant la situation humanitaire, l’Expert indépendant a indiqué que 3,4 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population totale, auront besoin d’aide en 2023; ce qui représente une hausse de 10% par rapport à 2022.  En outre, 750 500 Centrafricains sont réfugiés dans les pays voisins et 489 000 déplacés à l’intérieur du pays, à la date du 30 août 2023. 

    L’Expert indépendant a ensuite évoqué les conséquences de l’insécurité en République centrafricaine pour les pays limitrophes, notamment le Tchad et le Soudan, où les tensions s’accumulent.  Pour éviter qu’elles ne s’aggravent, il a appelé le Conseil de sécurité, de concert avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et l’Union africaine (UA), à envisager l’organisation d’une conférence sur la paix et la sécurité en Afrique centrale.  Il a, par ailleurs, exhorté les autorités centrafricaines à renforcer leurs canaux diplomatiques avec les États voisins.  Enfin, il a estimé qu’à plus long terme, il demeure essentiel d’investir dans le développement durable de la RCA, à travers la reconstruction et la réhabilitation des infrastructures routières, scolaires, sportives et médicales. 

    Dialogue interactif

    Première à réagir à cet exposé, la République centrafricaine a indiqué que le 30 août 2023, son Président a promulgué une nouvelle Constitution qui consacre la jouissance de toutes les formes de liberté et intègre les nouveaux cadres du pays en matière de protection de l’enfance et de lutte contre les violences sexuelles, entre autres.  En outre, la politique nationale des droits de l’homme, un « document unique », a été approuvée le 26 août 2023 par décret.  Il s’agit d’une première qui contribuera à l’effectivité des droits de l’homme garantit par les instruments nationaux et internationaux, s’est félicitée la délégation précisant que cette politique vise notamment à la promotion du droit au développement et du droit des minorités telles que « les femmes, les jeunes ou les réfugiés ».  La délégation a également évoqué la tenue, en novembre 2023, d’une table ronde sur la lutte contre l’impunité et les violences sexuelles. 

    Cependant, les sanctions ont conduit à la suspension des appuis budgétaires de l’Union européenne, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), privant la République centrafricaine de ressources, a déploré la délégation, qui a également dénoncé l’instrumentalisation et la politisation du Processus de Kimberley à des fins de pressions et de chantage.  De même, elle a fustigé le maintien de l’embargo sur les armes, affirmant que celui-ci a permis à des groupes terroristes de prospérer au vu et au su d’une forcée de maintien de la paix inopérante et inefficace. Elle a déploré l’absence de traitement de cette question tant dans l’exposé que dans le rapport de l’Expert indépendant. 

    La Fédération de Russie a regretté l’adoption de résolutions sélectives, politisées et unilatérales sur la situation des droits humains dans les différents pays, la jugeant incompatible avec le principe du maintien de relations amicales entre les États.  Elle a ensuite rejeté les « allégations » contenues dans les paragraphes 39 et 40 du rapport, lesquelles accusent les formateurs et experts militaires russes d’avoir commis de graves violations des droits humains.  Dénonçant des informations non fiables et non étayées, la délégation a insisté sur le plein droit du Gouvernement centrafricain de se défendre et de protéger la population civile ainsi que l’état de droit conformément à la législation nationale et internationale. 

    Le Royaume-Uni a souhaité savoir de quels appuis l’Expert indépendant a besoin pour mener des enquêtes sur les « crimes commis » par les forces russes.  De son côté, l’Union européenne a demandé comment la communauté internationale pouvait contribuer à lutter au mieux contre l’impunité.  Le Maroc a salué pour sa part les évolutions positives enregistrées par la République centrafricaine en matière de promotion et protection des droits humains, citant notamment la lutte contre les violences basées sur le genre, l’action contre le recrutement d’enfant dans les conflits ou encore l’abolition de la peine de mort. 

    À la suite de ces commentaires, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine a appelé la communauté internationale à continuer à soutenir les efforts de l’État dans la justice transitionnelle, a insisté l’Expert indépendant, estimant en outre que la Commission de consolidation de la paix, se doit d’appuyer la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation.  Mais la lutte contre l’impunité exige aussi un investissement en termes de ressources. Or, des partenaires comme le FMI ou la Banque mondiale ont suspendu depuis deux ans leur aide, a regretté l’Expert indépendant qui a appelé ces institutions à revenir sur leur décision. 

    Il a insisté sur l’importance du soutien aux populations dans les zones rurales dans le cadre des futures élections locales, appelant là encore à un renforcement de l’aide dans la perspective du scrutin prévu en octobre 2024. De même, il a espéré que le plan de sécurité des élections permettra aux femmes et filles d’exercer leurs droits démocratiques.  Il a appelé les autorités centrafricaines à une forte sensibilisation des jeunes, des femmes et des filles afin que ces groupes participent de manière actives à ce rendez-vous démocratique qui constitue à ses yeux un instrument pour restaurer la paix dans le pays.

    Abordant la question des enquêtes, l’Expert indépendant a estimé que les organisations de la société civile doivent pouvoir continuer à documenter les violations des droits humains commises par tous les acteurs, Casques bleus inclus, afin que justice soit faite. 

    Exposé

    Mme ELIZABETH SALMÓN, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC) a indiqué que son rapport met l’accent sur la relation entre les droits humains, la militarisation et l’égalité de genre en RPDC.  Tout en saluant la réouverture partielle des frontières, première étape vers une révision des restrictions imposées par le Gouvernement de la RPDC à la liberté de mouvement, la Rapporteuse spéciale a dit craindre un rapatriement forcé des personnes qui se sont enfuies, dont la majorité sont des femmes, et dont le retour les expose à la torture, aux violences sexuelles ou aux exécutions extrajudiciaires.  Chaque État a l’obligation, en vertu du principe de non-refoulement, de mettre un terme à ces rapatriements et de protéger les ressortissants de la RPDC sur son territoire, a-t-elle souligné, rappelant que, sous couvert de la pandémie de COVID-19, le Gouvernement de la RPDC a isolé le pays à une échelle sans précédent.  Ce faisant, il a exacerbé la crise humanitaire en restreignant l’accès des populations à la nourriture, aux médicaments et aux soins de santé, et a aggravé de multiples violations des droits humains, notamment des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des restrictions des libertés essentielles. 

    En cette année marquant le soixante-dixième anniversaire de l’accord d’armistice qui a mis fin aux hostilités de la guerre de Corée, la RPDC se maintient dans un état de conflit prolongé, a déploré Mme Salmón, constatant que la priorité est systématiquement donnée à l’armée, tant dans la gouvernance que dans l’allocation des ressources, ce qui détériore encore davantage la situation des droits humains.  Cette militarisation entraîne une surveillance extrême des citoyens, mais aussi une répression qui donne lieu à des violations des droits humains. Ceux qui regardent ou écoutent les médias étrangers, critiquent l’État ou tentent de partir sont considérés comme des criminels ou des traîtres et s’exposent à de sévères sanctions, a-t-elle dénoncé, ajoutant qu’au-delà de ses frontières, la RPDC procède à des enlèvements systématiques, des refus de rapatriement et des disparitions forcées de personnes en provenance d’autres pays.  De plus, les évadés et ceux qui ont été séparés par la guerre de Corée n’ont pas pu renouer avec leurs familles en RPDC, craignant des représailles.

    Selon la Rapporteuse spéciale, le financement des projets militaires induit l’exploitation d’une main d’œuvre non payée.  Une fois leurs études ou leur service militaire terminés, les citoyens de la RPDC sont envoyés sur des lieux de travail sans salaire ni rations adéquates, et les femmes, qui constituent la majorité d’entre eux, sont vulnérables à la corruption, aux abus et à l’exploitation sexuelle de la part des autorités.  De surcroît, la RPDC exporte de la main-d’œuvre à l’étranger dans des conditions de travail forcé, générant ainsi des devises étrangères, a expliqué Mme Salmón, pour qui cette politique du « tout-militaire » génère aussi un sous-investissement dans la protection sociale, fragilisant de larges segments de la population qui manquent de produits tels que la nourriture, les soins de santé ou l’eau.  Une situation encore aggravée par les sanctions imposées à la RPDC, qui ont limité l’importation des produits nécessaires à la production agricole. 

    Cette militarisation affecte de manière disproportionnée les femmes et les jeunes filles, celles-ci demeurant confinées dans des rôles traditionnels et des marchés informels, où elles sont vulnérables à l’exploitation, a poursuivi la Rapporteuse spéciale, sans oublier les femmes qui traversent les frontières et se retrouvent victimes des réseaux de traite.  Plaidant pour une approche multipartite, multidimensionnelle et sexospécifique de la militarisation et des droits humains en RPDC, Mme Salmón a estimé que cet État Membre, qui est partie à divers traités relatifs aux droits humains, doit mettre pleinement en œuvre la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité et ses suites.  Ceci inclut l’intégration de politiques sensibles au genre dans le programme de paix et de sécurité et la garantie d’une participation active des femmes aux processus diplomatiques et de paix, a-t-elle précisé, jugeant qu’une paix durable en RPDC et dans la région ne sera jamais atteinte si les droits des femmes continuent d’être sapés. 

    Dialogue interactif

    Après l’exposé de la Rapporteuse spéciale, plusieurs pays ont vigoureusement rejeté ses conclusions.  Prenant la parole en premier, au nom du Mouvement des pays non alignés, le Venezuela a exprimé son rejet catégorique des mandats ciblant des pays spécifiques, y voyant des instruments politiquement motivés, contraires au droit international. À l’instar de Cuba, du Nicaragua, de la République démocratique populaire lao, du Zimbabwe, de la République islamique d’Iran, du Cameroun ou encore du Bélarus, le Venezuela a également appelé à la levée immédiate des mesures coercitives unilatérales.  En plus d’être illégales, celles-ci sont contre-productives, car elles créent une crise alimentaire dans le pays et empêchent les citoyens de la RPDC d’atteindre les ODD, ont argué ces pays. 

    Appelant elle aussi à la levée des sanctions, la Chine s’est focalisée sur les progrès de la RPDC, mettant en avant l’amélioration de la vie de sa population.  La délégation a, par ailleurs, soulevé la question des entrées illégales sur le territoire nord-coréen qui, selon elle, mérite une réponse spécifique.  « Il faut trouver des solutions nationales aux problèmes nationaux », a pour sa part estimé le Cameroun, appelant au dialogue, à la concertation et au multilatéralisme.  Plutôt que les sanctions, plusieurs pays comme le Bélarus, la République démocratique populaire lao ou encore le Nicaragua ont prôné l’utilisation de l’Examen périodique universel (EPU), mécanisme plus inclusif et plus respectueux de la souveraineté des États à leurs yeux. 

    Le Burundi a jugé regrettable la tendance croissance à la politisation des droits humains sous prétexte de promouvoir ces derniers, estimant que cela porte préjudice à la coopération internationale.  Sur la même ligne, la Fédération de Russie a affiché son « rejet de principe » du rapport de Mme Salmon, y voyant un instrument de pression ayant pour but de nuire au développement de la RPDC.  À son tour, l’Érythrée a fustigé la politisation des droits humains qui, selon lui, ne sert qu’à « diaboliser et humilier » certains pays.  Cette approche est en contradiction avec la Charte des Nations Unies, a renchéri la République arabe syrienne, qui a mis en doute la véracité des informations ayant servi de base au rapport.

    D’autres pays, en revanche, ont apporté leur plein soutien à la Rapporteuse spéciale.  C’est le cas du Pérou, de l’Australie, de la Suisse, ou de l’Irlande, tous très préoccupés par les violations des droits humains en RPDC — en particulier les droits des femmes et des filles.  En sus, les Îles Marshall se sont inquiétées des tentatives de légitimation du régime de Pyongyang par certains pays, et ont fait part de leur grande préoccupation vis-à-vis du programme balistique et nucléaire de la RPDC. Une angoisse partagée par le Japon et l’Australie, qui ont fait le lien entre les droits humains d’un côté, la paix et la sécurité de l’autre: comment pourvoir aux besoins vitaux de sa population lorsqu’on dépense autant de ressources dans des missiles et des essais nucléaires? se sont-ils interrogés.  C’est là le vrai responsable de la crise économique et alimentaire en RPDC, en plus d’être un facteur de déstabilisation régionale, a estimé le Japon, avant d’évoquer la question des personnes enlevées et détenues par la RPDC.  L’Australie s’est, elle, demandée quand la RPDC allait rouvrir ses frontières, maintenant que la pandémie de COVID-19 est loin derrière.

    Le Royaume-Uni a également déploré le rapatriement forcé des réfugiés dans le cadre de la réouverture des frontières de la RPDC, avant de s’enquérir des moyens d’empêcher ce phénomène.  L’Union européenne a ensuite appelé la RPDC à discuter avec les Nations Unies, se disant prête à soutenir une telle coopération.  Comment pouvons-nous appuyer votre travail dans ce sens, a-t-elle demandé à la Rapporteuse spéciale.  Dénonçant la situation « désastreuse » des droits humains en RPDC, les États-Unis ont voulu savoir comment la communauté internationale pourrait accroître sa pression sur les autorités afin qu’elles fassent « le choix de leur population ».  La République de Corée a, elle aussi, regretté que la RPDC gaspille des ressources rares pour les consacrer à ses programmes d’armes balistiques et nucléaires au détriment de sa population.  Déplorant en outre l’enlèvement d’un missionnaire sud-coréen, la délégation a exhorté les États Membres à promouvoir le non-refoulement des réfugiés de la RPDC; un appel repris par la République tchèque

    Répondant aux sollicitations des États Membres, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC) a souhaité insister sur trois idées qui recoupent à la fois les interventions des délégations et son rapport.  Elle a tout d’abord souligné le lien indéfectible qui unit les droits humains, la paix et la sécurité.  Selon elle, la militarisation extrême de la RPDC ne saurait être expliquée sans aborder la question des violations des droits humains. En effet, a-t-elle relevé, cette militarisation détourne des ressources considérables qui pourraient servir à la protection des droits humains, notamment les droits économiques, sociaux et culturels.  D’autre part, cette militarisation est le résultat d’un système de travail forcé, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et un prétexte pour exercer une surveillance extrêmement élevée sur les citoyens, a poursuivi Mme Salmón.

    Deuxième idée développée par la Rapporteuse spéciale: les conséquences dévastatrices que génère la militarisation extrême de la RPDC affectent tout particulièrement les femmes et les jeunes filles, augmentant la discrimination dont celles-ci font l’objet, limitant leur participation à la vie publique et les exposant à la violence fondée sur le genre, y compris la violence sexuelle et la traite des personnes.  De plus, le climat d’impunité qui règne en RPDC est un obstacle à la possibilité des citoyens d’accéder à la réparation, a constaté Mme Salmón. 

    Enfin, la Rapporteuse spéciale a rappelé que son mandat repose sur deux axes, la reddition de comptes et l’engagement des États.  S’agissant du premier axe, elle a insisté sur le fait que les violations des droits humains ne doivent pas faire l’objet d’impunité, ce qui impose d’assurer un accès à la justice et d’écouter les victimes au niveau national comme international.  Les États doivent en outre garantir les droits humains des citoyens de la RPDC, a-t-elle ajouté, réaffirmant que l’obligation de non-refoulement est une priorité absolue.  Après avoir invité tous les États Membres à honorer cette obligation, elle a conclu son propos en estimant que « l’indifférence n’est pas une option ».

    Exposés conjoints sur le Myanmar

    M. KHALED KHIARI, Sous-Secrétaire général pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique, a indiqué que la situation politique, humanitaire et des droits humains au Myanmar continue de se détériorer.  Près de 2 millions de personnes sont actuellement déplacées, et le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a doublé pour atteindre près de la moitié des 55 millions d’habitants, a-t-il rapporté, déplorant une crise des plus graves dans l’État rakhine.  Il a indiqué que l’ONU a intensifié sa réponse face à ce défi, atteignant 4,4 millions de personnes en 2022 et 1,8 million de personnes supplémentaires au cours du premier semestre de 2023. Cependant, les contraintes d’accès continuent de limiter la fourniture d’une aide aux populations touchées par le passage du cyclone Mocha, en mai 2023.

    Après avoir assuré que le processus de nomination d’un Envoyé spécial du Secrétaire général suit son cours, le haut fonctionnaire a signalé que la situation dans l’État rakhine demeure désastreuse pour la communauté rohingya, qui continue de faire l’objet d’une discrimination systémique.  Malgré une certaine amélioration des relations intercommunautaires, les documents d’état civil et de citoyenneté restent inaccessibles pour la grande majorité des Rohingya qui continuent d’être privés de leurs droits les plus élémentaires.  Et aucune solution n’a été trouvé pour les Rohingya déplacés, a-t-il déploré. 

    Or, la résolution de la crise des Rohingya doit être au cœur de toute solution politique au Myanmar, a souligné le Sous-Secrétaire général, appelant la communauté internationale à faire preuve d’une plus grande solidarité à l’égard de ce peuple et des pays qui accueillent des réfugiés rohingya, comme le Bangladesh où la situation dans les camps devient de plus en plus difficile. En outre, l’insuffisance des fonds a entraîné des réductions importantes des rations alimentaires à deux reprises cette année, ce qui a aggravé les vulnérabilités, a regretté M. Khiari qui a, par ailleurs, alerté que les Rohingya sont également la proie des réseaux criminels. 

    Le Sous-Secrétaire général a ensuite dit être profondément préoccupé par les informations selon lesquelles un tribunal du Myanmar aurait rejeté les appels contre la condamnation de la Conseillère d’État Aung San Suu Kyi.  En outre, la désignation comme « terroristes » des principales organisations armées ethniques et du Gouvernement d’unité nationale fait planner de sérieux doutes quant à l’intérêt de l’armée en faveur d’une véritable solution politique. 

    M. Khiari a ensuite indiqué que le Secrétaire général continue de réitérer ses appels à l’armée pour qu’elle s’abstienne de toute répression et agisse dans l’intérêt supérieur de la paix et de la stabilité au Myanmar et dans la région.  Cela implique également que les groupes de résistance renoncent à la violence à l’encontre des personnes qu’ils considèrent comme favorables à l’armée. Il a également souligné que le rôle de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est dans la résolution de la crise au Myanmar est essentiel, évoquant notamment son consensus en cinq points. 

    M. NICHOLAS KOUMJIAN, Sous-secrétaire général et Chef du Mécanisme indépendant d’enquête pour le Myanmar, s’est réjoui de présenter pour la première fois à la Troisième Commission les travaux de ce mécanisme créé en 2018 et chargé de recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser les éléments de preuve attestant la commission de crimes internationaux les plus graves et de violations du droit international au Myanmar depuis 2011.  Indiquant que l’accent a été mis sur les éléments de preuve concernant les violations des droits humains perpétrées contre les Rohingya, contraints de fuir le Myanmar par centaines de milliers à la suite de violences, notamment sexuelles, il a précisé que, depuis le coup d’État de février 2021, le Mécanisme a collecté des preuves de crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont la fréquence et l’intensité ont augmenté l’an dernier.  Le Mécanisme dispose, selon lui, d’éléments de preuves d’exécution de masse, d’attaque de civils, de bombardement indiscriminés, d’incarcération sans procès, d’actes de torture et de déportation.

    Après avoir remercié la Troisième Commission d’avoir appelé le Myanmar à coopérer avec le Mécanisme, M. Koumjian a déploré que les autorités militaires au pouvoir au Myanmar aient ignoré les demandes d’information et d’accès que lui a faites le Mécanisme.  De surcroît, a-t-il dit, il est très difficile d’accéder à des témoins dans cette région.  C’est pourquoi le Mécanisme a adopté des techniques innovantes lui permettant d’analyser des données, notamment des vidéos, des photos et des images géospatiales postées sur les réseaux sociaux, qui sont vérifiées sur la base d’informations reçues de 723 sources.  Faisant état d’une masse « sans précédent » de preuves et d’informations collectées à ce jour, le Chef du Mécanisme a souhaité que ces éléments ne soient pas « rangés dans des tiroirs » mais servent à lutter contre l’impunité dans le cadre de procès.

    Nous partageons ces éléments avec trois procédures en cours devant la Cour pénale internationale (CPI), la Cour internationale de Justice (CIJ) et un tribunal argentin, qui traitent spécifiquement des crimes commis contre les Rohingya, a indiqué M. Koumjian.  Dans ce cadre, a-t-il expliqué, des rapports analytiques ont été préparés, en particulier sur les chaînes de commandement militaire ou encore sur les discours de haine relevés sur Facebook.  Saluant le courage des rescapés qui ont témoigné, le Sous-Secrétaire général a assuré que les interactions avec ces personnes sont protégées par un niveau de confidentialité.  Il a cependant plaidé en faveur d’une augmentation des ressources du Mécanisme pour protéger les témoins et garantir la sécurité du personnel afin qu’il puisse s’acquitter de sa mission.  Celle-ci consiste à « briser le cycle de l’impunité au Myanmar » pour que les auteurs de crimes soient tenus de rendre des comptes, a-t-il conclu. 

    THOMAS H. ANDREWS, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a exhorté à ne pas perdre de vue « le feu ardent de la brutalité et des violations des droits humains qui brûle intensément » à l’intérieur du Myanmar, rappelant la responsabilité des États Membres à l’égard de cette situation critique.  Accusant la junte militaire d’être un « agent du chaos et de la violence », il a détaillé les atrocités que celle-ci a commises depuis le coup d’État illégal lancé par le général Min Aung Hlaing il y a plus de deux ans et demi. 

    Le Rapporteur spécial a indiqué que les forces militaires ont tué au moins 4 000 civils et incarcéré plus de 25 000 prisonniers politiques, dont presque 20 000 demeurent en détention, y compris des enfants et des dirigeants démocratiquement élus.  De plus, environ 75 000 habitations et structures civiles ont été détruites.  Le pays est plongé dans la pauvreté, affectant 17,6 millions de personnes qui nécessitent une assistance humanitaire. Plus de 2 millions de personnes ont été déplacées et 15 millions sont confrontées à une insécurité alimentaire modérée ou grave. 

    M. Andrews a également fait état de tortures indicibles commises dans les prisons de la junte, où les actes de violences sexuelles, les coups et les électrocutions sont monnaie courante, précisant qu’au moins 181 prisonniers politiques y ont perdu la vie.  En ce qui concerne les impacts régionaux, le Rapporteur spécial a évoqué le sort d’environ 1 million de réfugiés rohingya au Bangladesh, où les conditions s’aggravent.  Il a également dénoncé l’environnement de non-droit créé par la junte, favorisant l’émergence de réseaux criminels et le trafic d’êtres humains le long des frontières du Myanmar.  Cependant quelques progrès sont à noter, le régime subissant une pression accrue de la part de la communauté internationale, a-t-il relevé.  Les sanctions ciblant les biens, les armes et les revenus financiers de la junte sont de plus en plus efficaces.  Certains pays, comme Singapour, acceptent de coopérer dans des enquêtes sur le transfert d’armes et l’application des sanctions, tandis que d’autres boycottent les événements organisés par la junte.  Il s’agit là de « petits pas », mais qui doivent se poursuivre, a-t-il insisté.  « Le motif d’espoir le plus important au Myanmar est le courage, la ténacité et l’engagement de son peuple », a ajouté M. Andrews, soulignant l’urgence pour les États Membres de travailler ensemble à une réponse plus coordonnée et stratégique à la crise au Myanmar. 

    Dialogue interactif

    À la suite de cette succession de présentations, le Myanmar a regretté que la « junte militaire illégitime » veuille faire croire au monde qu’elle seule peut rétablir la paix et la stabilité dans le pays, alors qu’elle est elle-même « le plus grand obstacle à toute stabilité politique durable au Myanmar ».  La junte retient toujours en otage des dirigeants civils élus, dont le Président U Win Myint et la Conseillère d’État Aung San Suu Kyi, malgré les appels répétés du Conseil de sécurité en faveur de leur libération immédiate, a rappelé la délégation. Revenant sur l’impact humanitaire de la crise, elle a rapporté que 1,7 million de personnes ont été chassées de chez elles par les attaques militaires aveugles contre la population civile et que le nombre total de personnes déplacées à l’intérieur du pays s’élève désormais à près de 2 millions.  Or, les diverses restrictions imposées aux organisations humanitaires locales et la manipulation de l’accès humanitaire par la junte empêchent les Nations Unies et leurs partenaires d’atteindre les personnes qui ont des besoins urgents, en particulier dans les zones touchées par le conflit, a déploré la délégation. 

    Pour affirmer son contrôle, la junte instille la peur parmi la population civile et recourt à la punition collective pour affaiblir le soutien populaire à la résistance, a-t-elle poursuivi.  Malheureusement, l’afflux d’armes étrangères et de kérosène permet à la junte de continuer de perpétrer des atrocités, comme les titulaires de mandat des Nations Unies l’ont documenté dans leurs rapports respectifs.  Pourtant, jusqu’à présent, aucun soldat n’a eu à répondre de ces crimes, car ils sont commis sous la direction et au su de la junte illégale, a poursuivi la délégation.  Par conséquent, une culture d’impunité totale s’est installée au Myanmar et « il importe d’y mettre fin », a-t-elle martelé, avant d’aborder la question du rapatriement des Rohingya.  Le retour de ceux qui se sont réfugiés au Bangladesh ne pourra se faire durablement sous la junte militaire, a tranché la délégation, trouvant « tout à fait logique » que les Rohingya soient réticents à retourner au Myanmar, alors que les militaires qui ont commis des atrocités à leur encontre « se livrent aujourd’hui aux mêmes brutalités contre l’ensemble de la population dans tout le pays ».

    Les militaires ne seront jamais en mesure de vaincre la résistance combinée et croissante des mouvements pacifiques et armés et des organisations de résistance ethnique, a affirmé la délégation, estimant que la junte « ne gouverne pas mais survit ».  Dans leur « fuite en avant », les militaires se tournent, selon elle, de plus en plus vers des crimes atroces, jusqu’à présent en toute impunité.  La communauté internationale ne doit pas continuer à permettre aux militaires de tuer brutalement la population, a-t-elle répété, appelant à saisir la Cour pénale internationale (CPI) de la situation au Myanmar.  Il est temps aussi de mettre un terme à l’acheminement d’armes, y compris de kérosène, vers l’armée, car loin d’être utilisées pour défendre le pays, ces fournitures sont utilisées pour « tuer la population », a ajouté la délégation. 

    Avertissant que l’élimination de la junte illégale ne fera pas nécessairement du Myanmar un pays stable, la délégation a exhorté les Nations Unies, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), leurs envoyés spéciaux et tous les États Membres à aligner leurs engagements et leurs actions concernant le Myanmar sur les aspirations démocratiques du peuple du Myanmar. « Chaque instant qui passe sans que rien ne soit fait aggrave les souffrances de la population et fait de plus en plus de victimes », a-t-elle conclu, demandant aux intervenants de lui exposer leurs prochaines démarches en vue de mettre fin aux atrocités de la dictature militaire et de rétablir la démocratie au Myanmar.

    En tant que pays voisin, la Thaïlande s’est ensuite engagée à agir plus activement face à la crise qui ébranle le Myanmar, pour que la paix y prévale mais aussi pour surmonter les défis transfrontaliers.  La délégation a, en outre, félicité le Bangladesh pour ses efforts en faveur des réfugiés rohingya.  Pour les Îles Marshall, la communauté internationale n’a pas fait le nécessaire pour garantir la responsabilité des coupables de la crise que traverse le Myanmar.  L’année 2023 a, en effet, été une « année horrible » au Myanmar, s’est émue l’Union européenne (UE), condamnant la brutalité de la junte militaire et ses attaques aveugles contre la population civile.  S’adressant à M. Khiari, la délégation a souhaité savoir quel impact aurait un embargo mondial sur les armes à destination de l’armée du Myanmar sur le conflit et sur la jouissance des droits humains par les habitants du pays.  Notant par ailleurs que le rapport de M. Koumjian documente la structure de commandement de l’armée du Myanmar et la manière dont elle a pu délibérément préparer et exécuter des crimes internationaux, l’UE s’est interrogée sur la contribution de la société civile à ces travaux.  S’adressant enfin à M. Andrews, elle a voulu savoir si l’engagement humanitaire de l’ONU s’est traduit par un meilleur accès et une modération des violences commises par les militaires. 

    Souscrivant à cette déclaration, l’Allemagne a, elle aussi, condamné la responsabilité des militaires dans les violations des droits humains au Myanmar, avant de demander comment appuyer l’ASEAN pour mettre en place le consensus en cinq points et accroître la pression sur la junte.  Une interrogation partagée par la République de Corée et l’Australie, celle-ci appelant à un embargo mondial sur l’envoi d’armes au Myanmar. De son côté, la République islamique d’Iran s’est alarmée des violations des droits humains contre les musulmans rohingya, qui ont en outre été les premières victimes du cyclone dans l’État rakhine.  La délégation a félicité à son tour le Bangladesh pour son accueil des réfugiés rohingya, se demandant si l’appui de la communauté internationale à ce pays est suffisant.  Sur la même ligne, l’Arabie saoudite s’est indignée de voir la situation des Rohingya s’aggraver jour après jour, avant de rappeler l’aide qu’elle a fournie à cette population.  Comment les différents acteurs internationaux appuient-il ces efforts? a-t-elle demandé aux intervenants. 

    Alarmé lui aussi par la situation, le Liechtenstein a voulu savoir comment faire cesser les frappes aériennes contre les civils, une préoccupation également exprimée par les Pays-Bas qui ont rappelé les bombardements meurtriers du 9 octobre dernier.  Le Canada a souhaité que d’autres pays lui emboîtent le pas pour sanctionner la junte, avant de réclamer la libération de toutes les personnes détenues de manière arbitraire, la mise sur pied d’un accès humanitaire pour secourir les populations dans le besoin et la création d’un « plan commun pour priver ce régime de carburant, d’armes et de la légitimité qu’il ne mérite pas ». Très critique à l’égard des rapports, la Fédération de Russie a rejeté la pratique consistant à adopter des résolutions « sélectives, politisées et unilatérales » sur la situation des droits humains dans différents pays.  L’adoption de tels documents n’est pas conforme au principe d’un dialogue mutuellement respectueux, égal et non politisé dans le domaine de la coopération internationale sur la promotion et la protection des droits humains; elle contredit le principe de relations amicales entre les États, a invoqué la délégation.  Les nombreuses accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité portées contre les autorités du Myanmar ne peuvent être prises au pied de la lettre en l’absence de preuves et de faits avérés, a-t-elle ajouté, se disant « déçue » que les rapports n’évaluent pas de manière adéquate la volonté des autorités du Myanmar de coopérer avec les organisations et agences des Nations Unies.

    Appelant la junte à mettre fin à ses attaques contre les civils, la République tchèque a demandé à M. Khiari de préciser quels sont les principaux défis dans les zones contrôlées par la junte, d’une part, dans les territoires contrôlés par l’opposition, d’autre part.  Après avoir salué l’immense courage et la résilience du peuple du Myanmar, le Luxembourg s’est demandé comment faire pour que les auteurs de violations de droits humains soient un jour traduits en justice, compte tenu de l’absence de perspectives démocratiques dans le pays. En première ligne de cette crise, le Bangladesh a demandé à M. Khiari dans quelle mesure il est possible de renforcer son action et comment les Nations Unies peuvent plus efficacement coordonner leur réponse avec les différents acteurs de consolidation de la paix.  La délégation s’est aussi enquise auprès de M. Koumjian des façons de mieux protéger les témoins qui collaborent avec le Mécanisme d’enquête indépendant. Enfin, elle a rejeté les conclusions de M. Andrews sur le retour forcé des réfugiés rohingya par le Bangladesh, assurant que son pays continue de les accueillir du mieux qu’il le peut.

    Comment peut-on établir des synergies entre l’ASEAN et l’ONU pour le règlement de cette crise? a voulu savoir le Japon, qui a assuré qu’il continuera à fournir une assistance humanitaire aux populations au Myanmar. L’Irlande a appelé à continuer à faire pression sur la junte pour mettre en œuvre le consensus en cinq points de l’ASEAN, appuyée en ce sens par l’Indonésie, qui a demandé à la communauté internationale de soutenir la troïka mise en place pour appuyer cet accord.  Elle a également insisté pour que la question des Rohingya fasse l’objet d’une meilleure coopération internationale.  La Malaisie s’est elle aussi émue du sort des Rohingya, affirmant favoriser leur accueil tout en jugeant la situation migratoire de plus en plus « intenable ».  Elle a, par conséquent, souhaité savoir comment il serait possible d’aider au retour sûr et volontaire des réfugiés dans leur pays.

    L’Islande a appelé à un règlement pacifique de la crise et à un retour de la démocratie au Myanmar, tandis que la France souhaitait connaître les leviers dont dispose la communauté internationale pour améliorer l’accès des organisations humanitaires aux populations vulnérables.  Que peut faire la communauté internationale pour garantir l’accès aux populations déplacées du Myanmar et assurer leur protection? a pour sa part demandé le Royaume-Uni.  Appelant à un retour volontaire et sûr des réfugiés rohingya et des personnes déplacées, les États-Unis ont voulu savoir dans quelles mesures les États Membres peuvent promouvoir les principes de responsabilité à l’égard des auteurs de la violence.  Comment la communauté internationale peut-elle davantage appuyer la mise en œuvre de la résolution 26/69 adoptée par l’Assemblée générale en 2022, qui appelle le régime à mettre fin à ses violences, à libérer les prisonniers arbitrairement détenus, à permettre un accès humanitaire sans entrave, à protéger les membres des groupes minoritaires et à respecter la volonté et les aspirations démocratiques du peuple du Myanmar, a demandé la Suisse.

    Le Bélarus a, pour sa part, plaidé en faveur de la recherche d’un mode de règlement des problèmes qui soient acceptables pour toutes les parties, espérant qu’un format constructif de coopération soit trouvé.  La Chine a, elle, souligné la contribution cruciale de l’ASEAN à la recherche d’un règlement au Myanmar, avant de demander à l’ONU de respecter le rôle de chef de file de cette organisation régionale.  La délégation chinoise a d’ailleurs exprimé son opposition au Mécanisme indépendant d’enquête, créé « sans consultation ni appui du gouvernement concerné », ainsi qu’à l’utilisation des droits humains comme prétexte pour faire pression sur d’autres pays.

    Enfin, l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale a mis l’accent sur la situation des Rohingya, qui font l’objet de crimes contre l’humanité.  S’agissant de la tenue d’élections au Myanmar, échéance reportée à plusieurs reprises par la junte au pouvoir, elles devront inclure les Rohingya, a estimé l’Institut, mettant en garde contre un scrutin qui ne bénéficierait pas de l’appui de la communauté internationale.  La situation des Rohingya montre clairement les liens intrinsèques qui existent entre la démocratie, les droits humains, la non-discrimination, la paix et le développement, a-t-il conclu. 

    Premier à réagir à ces questions et commentaires le Sous-Secrétaire général pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique a appelé à la mise en œuvre de la résolution 2669 (2022), rappelant le consensus du Conseil de sécurité en faveur d’une aide humanitaire et d’un dialogue inclusif pour une solution politique négociée.  Il s’est félicité de la décision de l’ASEAN de reconfirmer sa feuille de route pour parvenir à une solution durable, rappelant que l’ONU fournit une expertise comparative pour la médiation et l’aide humanitaire.  Il s’est inquiété des déficits de financements en matière de réponse humanitaire, ainsi que des contraintes d’accès à certaines zones, appelant les États Membres à appuyer le plan de réponse pour le Myanmar.

    Il a également engagé les pays voisins, notamment ceux exerçant une influence sur la junte, à faciliter un accès sans entrave aux personnes dans le besoin.  Il a assuré que tout est mis en œuvre pour échanger avec les parties prenantes, signalant cependant que ces efforts sont confrontés à des limitations découlant du risque de détentions arbitraires et des craintes de représailles.  Nous sommes également conscients de l’absence de protection des civils dans les zones où les attaques s’intensifient, a-t-il ajouté.  Il a enfin fait savoir que le plan d’intervention pour les Rohingya n’est financé qu’à hauteur de 42%. 

    Le Chef du Mécanisme indépendant d’enquête pour le Myanmar, après avoir rappelé que le premier point du consensus en cinq points consiste à « mettre fin à la violence », n’a pu que constater que celle-ci s’intensifie.  Et elle s’intensifie en premier lieu parce que l’impunité demeure, les criminels n’ayant pas eu à répondre de leurs exactions jusqu’ici.  C’est pour cette raison que le Mécanisme est si important et doit venir compléter le consensus en cinq points, a-t-il plaidé. 

    Remerciant les États qui ont aidé le Mécanisme dans la collecte de témoignages —particulièrement le Bangladesh qui a laissé ses équipes s’entretenir avec des réfugiés rohingya— le Chef du Mécanisme a requis davantage de soutien de la part des États impliqués dans la crise.  Il a également remercié les organisations de la société civile, dont il dépend pour être informé et présenté aux témoins ou aux victimes de crimes. 

    Répondant à son tour aux délégations, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a tout d’abord constaté que l’aide humanitaire envoyée au Myanmar n’est pas suffisante.  Quelque 17,6 millions de personnes qui en ont besoin ne la reçoivent toujours pas, a-t-il déploré, appelant la communauté internationale à soutenir les organisations de la société civile sur place. Abordant ensuite la question des réfugiés rohingya accueillis à « bras et cœur ouverts » au Bangladesh, M. Andrews a regretté que le Plan d’intervention conjoint face à la crise humanitaire des Rohingya ne soit encore financé qu’à 42%.  Nous pouvons obtenir de meilleurs résultats pour appuyer ces réfugiés au Bangladesh, a-t-il lancé aux États Membres. 

    Le Rapporteur spécial a ensuite appelé à continuer de « braquer les projecteurs sur cette crise ».  La junte militaire pense que le monde ne l’observe pas, que cela ne nous importe pas: « c’est faux », a-t-il tranché, avant de s’alarmer de l’augmentation ces deux dernières années des frappes aériennes menées par le pouvoir militaire.  L’armée continue de bombarder des villes et des villages, a-t-il dénoncé, exhortant les États Membres à prendre des mesures pour « clouer au sol ces avions à réaction ou autres hélicoptères de combat en faisant cesser l’acheminement de kérosène ».  Selon lui, l’équivalent d’un milliard de dollars d’armes et de technologies réutilisables ont été livrées à la junte depuis le coup d’État de 2021. 

    M. Andrews s’est cependant réjoui de quelques progrès, un pays ayant cessé ses envois de technologies militaires, tandis que Singapour et l’Allemagne ont lancé des enquêtes contre des entités se livrant à des transferts d’armes vers la junte.  De plus, les États-Unis ont sanctionné deux banques au Myanmar, d’autres pays s’en sont pris à 187 entités ou individus, et l’Union européenne a imposé des rétorsions aux compagnies nationales de pétrole et de gaz, principales ressources de la junte. Des dizaines de milliers de dollars ont ainsi échappé aux militaires, s’est félicité le Rapporteur spécial. 

    La junte n’est pas un gouvernement légitime, a-t-il répété en abordant un autre volet de questions.  Toute légitimation externe sera récupérée par la junte, qui l’utilisera à l’intérieur des frontières du Myanmar, a averti M. Andrews.  Évoquant ensuite le recensement que la junte entend mettre en œuvre en vue d’éventuelles opérations électorales, il a jugé impossible de tenir des élections tant que le régime exécute ses opposants.  Il a donc appelé tous les États Membres à condamner ce projet électoral comme une « farce ».  Avant de conclure, le Rapporteur spécial a exhorté le Conseil de sécurité à adopter une résolution suivie de mesures concrètes et fortes.  Il s’est toutefois déclaré conscient que cela « ne se produira pas dans le contexte actuel », d’où l’importance pour lui d’une coordination entre toutes les nations solidaires du peuple du Myanmar, pour faire des mesures contre la junte « un tout cohérent et puissant ».

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    Author: Wayne Fowler

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